Le maquillage virtuel : nouvelle coquetterie du télétravail en visioconférence ?
Et si la fantaisie enchantait le travail à distance. L’Oréal Paris lance une ligne digitale de cosmétiques pour être belle ou faire la belle devant son ordinateur grâce à une application gratuite. De la poudre aux yeux le temps d'une connexion professionnelle ou d'un visio-apéro entre amis.
Depuis le premier confinement et le recours au télétravail, les salariés se retrouvent bon gré mal gré propulsés dans la bulle intime de leur collègue de bureau ou de leur supérieur hiérarchique. Les réunions par visioconférence depuis le domicile peuvent être considérées comme intrusives. Des fonds d'écran de bureaux, palmiers, bibliothèques, etc. ont fleuri dans les échanges Zoom et autres. L'Oréal Paris, numéro un du secteur, propose maintenant un maquillage virtuel qui permet de se faire une beauté pour les collègues ou les amis, sans passer par la salle de bain. Et si ce nouvel outil, cette fantaisie, permettait de mieux supporter la lourdeur du confinement ?
Une gamme de filtres gratuits
Les discussions à la machine à café qui commençaient par "Alors, t’as fait quoi ce week-end ?" sont souvent liées désormais au cadre de vie des uns et des autres : "Tiens, il est mignon le canapé derrière toi, il est convertible ou pas ?" ou "C’est drôle, j’ai les mêmes rideaux que toi !" Certains se sentent envahis et jugés. Au printemps, les plus discrets ont donc opté pour le floutage de leur intérieur, d’autres ont joué la carte décalée en choisissant des fonds d’écran derrière leur visage. Il y a eu les destinations du bout du monde, plages de sable fin avec palmiers et lagons turquoises, sommets enneigés des Alpes, bocage normand ou un faux intérieur avec tapisserie, lampe et étagère de livres : une décoration empruntée à un magazine.
Restait le problème majeur : notre tête ! Certains participaient à la réunion de travail en chaussons et pyjama pour le bas et se contentaient de soigner leur allure du haut, c’est-à-dire le torse et le visage. Un coup de peigne et une chemise bien repassée pour les hommes faisaient l’affaire. Pour les femmes, l’exercice se révélait parfois plus contraignant pour apparaître sous son "meilleur profil" devant l’écran. Certaines filaient à la salle de bain pour une séance express shampoing brushing maquillage et comme le racontent des connaisseuses, il fallait forcer le trait et pas uniquement le trait d’eye liner ! A l’écran, pour ne pas avoir mauvaise mine, il faut vraiment y aller sur le fond de teint et le blush aux joues. Sans modération...
Pour ce deuxième épisode du confinement, place donc au maquillage virtuel instantané. L’Oréal Paris lance une ligne digitale de cosmétiques baptisée "Signature Faces". Il s’agit en fait d’une gamme de dix filtres, comme on en trouve sur Snapchat par exemple, élaborés notamment par des artistes 3D. Des faux cils, du mascara pailleté or, de l’ombre à paupières violette ou du rouge à lèvres ultra brillant couleur mandarine.
En deux clics, l’application gratuite permet de faire illusion sans s’appliquer quoi que ce soit sur son visage. Le maquillage devient ludique pour de faux. L’illusion dure le temps d’une connexion.
"Déjà 1 million 600 000 utilisatrices dans le monde, sans campagne de communication"
Selon une étude IFOP du mois de juillet dernier, 56% des femmes en télétravail se maquillent avant de rejoindre une réunion en visioconférence. Le Directeur Général de L’Oréal Paris, Jamel Boutiba, met en avant ce chiffre et une réponse au télétravail mais aussi à "une vie sociale totalement bouleversée", avec par exemple des apéros en visio ou des soirées virtuelles. Il s'agit de proposer "un maquillage que vous ne pourriez même pas réaliser dans la vie réelle, pour avoir plus confiance en soi." Et "pas forcément avoir qu'un maquillage quotidien mais aussi des choses plus festives, excentriques."
Le succès est au rendez-vous d'après Jamel Boutiba avec 1 million 600 000 utilisatrices en dix jours dans le monde, sans campagne de communication jusque là. Une façon peut-être aussi pour la marque de garder le lien avec ses (potentielles) clientes au moment où s'accélère la tendance du "No Make Up", déjà perceptible avant le confinement. D'après l'étude de l'Ifop, de plus en plus de femmes, en particulier des jeunes, se détachent de cette "injonction au maquillage quotidien". Une prime au naturel et au sanitaire dans les routines de soin du visage.
L'Usine digitale précise que cette nouveauté "s’inscrit dans la stratégie de la marque de cosmétiques engagée en 2018 et le rachat de ModiFace, start-up canadienne spécialiste dans les filtres de réalité augmentée". Avec déjà une offre de "prévisualisation en réalité augmentée de couleurs pour cheveux, ou encore Skin Genius, un outil qui permet d’analyser la qualité de la peau et d'effectuer des recommandations".
Interrogée par le Wall Street Journal tout récemment, la directrice numérique de L'Oréal, Lubomira Rochet, précise que, plus globalement :
Pendant la pandémie, l'utilisation des essais virtuels de L'Oréal a été multipliée par cinq, atteignant 1 milliard de visites d'utilisateurs. Les taux de conversion des essais virtuels - les taux auxquels les navigateurs se transforment en acheteurs - ont triplé pendant la pandémie, les gens passant plus de sept minutes sur le service et essayant entre 20 et 30 nuances de maquillage avant d'acheter.
"Une très bonne idée même si je ne vois pas trop une fille du secteur bancaire s'amuser à mettre des faux-cils dorés devant sa DRH"
La trousse de maquillage peut donc rester au fond du sac à main. Il suffirait de télécharger Snap Camera, un logiciel disponible sur Windows et Mac, permettant d’ajouter des filtres sur la webcam de son ordinateur à la maison. Rédactrice en Chef Beauté au magazine ELLE, Elisabeth Martorell y voit "une très bonne idée" et considère que "c'est bien qu'un groupe déjà très actif dans le digital fasse cette proposition". Pour la journaliste, "ce n'est pas que du jeu et du fun, c'est aussi se sentir mieux. Et quand on doit faire des réunions en télétravail, on a pas envie de voir ses collègues les cheveux en bataille, en pyjama. Même si on est beaucoup moins dans le dictat aujourd'hui".
Elle a testé ces filtres sur Instagram, ils "sont très drôles même si je ne vois pas trop une fille travaillant dans une banque s'amuser à mettre des faux-cils dorés devant sa DRH". "Je suppose que dans une évolution, il y aura des propositions un peu plus soft, classiques, friendly, mais ça marche vraiment bien, ça suit les mouvements du visage."
Valoriser son image sans dommage pour sa peau
A l'Université de Nantes, Laurence Coiffard s'occupe de socio-esthétique ou comment le maquillage peut servir des populations fragilisées, malades, sans domicile ou emprisonnées. Pour certaines femmes en détresse, se faire jolie n’est pas une démarche futile. Au contraire, être apprêtée est un acte de résistance, et même parfois de survie. "Dans des situations un peu extrêmes, on a besoin de valoriser son image" explique cette Docteure en Pharmacie. Donc, "dans des situations un peu moins extrêmes, quand on est en bonne santé, même en confinement, on a aussi besoin de valoriser son image et c'est une initiative intéressante et tout à fait pertinente."
Peut-on aller jusqu’à dire que ce maquillage virtuel est vertueux ? En tout cas, en l’absence de produits, aucun risque d’allergie pour la peau, et en l’absence d’achats, aucun risque de vider le porte-monnaie. Il faut simplement assumer le côté flashy du fard à paupières qui semble tout droit sorti du clip Purple Rain de Prince et des faux-cils pailletés à la Lady Gaga. Too much ? Sans doute, pour une réunion avec notre équipe de direction mais parfait si le futur réveillon de la Saint-Sylvestre se déroule lui aussi à distance en mode calfeutré, avec pour unique fenêtre sur ses amis ou sa famille l’écran de son ordinateur.