Trump a voulu "annuler Obama" parce qu'il ne supportait pas qu'un Noir incarne l'Amérique de la dignité, de la tolérance et de la culture.
Avant de quitter la Maison blanche, Donald Trump – peut-être parce qu’il s’y ennuie, peut-être parce qu’il est furieux de devoir admettre enfin qu’il a perdu – multiplie les décisions d’ordre judiciaire. D’un côté, il use de son droit de grâce pour faire libérer de prison des mercenaires qui ont exécuté de sang-froid des civils irakiens. De l’autre, il ordonne l’exécution de condamnés à mort, demeurés longtemps dans le « couloir de la mort » de prisons fédérales.
Dix hommes ont déjà ainsi été exécutés cette année ; trois autres devraient l’être avant que Donald Trump cède la Maison blanche à son successeur élu. C’est plus que dans tous les Etats des USA, où la peine de mort tend à ne plus être guère appliquée.
Pourquoi Trump se comporte-t-il ainsi ? demande l’essayiste néerlandais Ian Buruma ? Pourquoi éprouve-t-il le besoin de multiplier les gestes provocateurs, alors que les jours de sa présidence lui sont désormais comptés ? Est-ce pour faire passer son successeur, qui a promis d’abolir la peine de mort, pour un pied tendre ?
Comme les rustres incultes se sentent insultés par Mozart, Trump s'est senti défié par la dignité d'Obama
Et Buruma d’évoquer alors une scène rapportée par le grand Simon Leys dans ses mémoires.
Un jour qu’il était dans un café en Australie, où il tentait de lire, une radio assourdissante diffusait une horrible musique commerciale. Au bar, quelqu’un décida de changer de chaîne et la même radio se mit à diffuser un quintette de Mozart. Silence dans la salle, jusqu’à ce qu’un des clients présents, furieux, se lève brusquement et aille remettre la chaîne tonitruante. « C’est précisément parce qu’il ressentait la qualité de cette musique qu’il avait décidé de l’annuler », selon Leys. Il s’était senti insulté par cette qualité. Elle évoquait une intelligence et une sensibilité dont il se sentait dépourvu. Il considérait Mozart comme une insulte à sa propre balourdise. « Il lui fallait remettre la musique à son niveau. »
Il en va de même pour Donald Trump, écrit Buruma. En arrivant à la Maison blanche, il aurait voulu « annuler » l’ambiance de dignité et de sérénité qu’y avait fait régner Barack Obama. Comme l'écrit Buruma :
Beaucoup de commentateurs, au cours des quatre dernières années, ont montré que Trump était mené par le désir obsessionnel de mettre à bas tout ce que son prédécesseur avait construit.
Ce que signifie le tic de langage d'Obama "this is not what we are"
Il y a sans doute bien des causes à cela. Mais l’une des principales est que Trump ne supportait pas l’idée qu’un Noir puisse incarner un tel niveau d’intelligence et de culture, qu’il s’exprime avec autant de subtilité et de raffinement, que son accent soit aussi impeccablement chic. Cela contredisait ses propres préjugés racistes. Ian Buruma :
Je pense que l’anecdote de Leys sur le café australien offre la meilleure explication » « Il fallait à Trump éradiquer l’image de haute civilisation que Obama représentait. Il lui fallait la faire descendre jusqu’à son propre niveau à lui.
L’un des tics de langage d’Obama était « this is not what we are » (ceci n’est pas ce que nous sommes). Chaque fois qu’il a eu à commenter un geste ignoble commis quelque part par un Américain, ou par les Etats-Unis en tant que nation, il le rapportait ainsi à la haute idée morale qu’il se faisait des Etats-Unis.
Parce qu’Obama a voulu inspirer aux Américains un idéal exigeant, il faisait appel à « la meilleure nature » des Américains. Comme Martin Luther King, son inspirateur, il ne méconnaissait pas la part de violence, d’intolérance raciste et grégaire qui fait partie de la culture américaine. Mais il entendait pousser ses compatriotes vers le haut. Pas vers le pire.
C’était intolérable à Trump, qui incarne justement cette Amérique vulgaire, violente et inculte, fière de ses mauvaises manières. Sa grossièreté plaisait à ses partisans parce qu’elle faisait écho à la leur.
La tâche de Biden : ramener de la décence dans la vie politique américaine
Joe Biden a promis de ramener la décence et la dignité dans la vie politique américaine. Comme Obama, il proclame sa foi dans la raison et son espoir de faire coopérer les deux partis qui représentent les Etats-Unis dans une atmosphère de tolérance mutuelle retrouvée. Il faut lui souhaiter bonne chance.