Toujours sur "Les Racines du Ciel", la conversation se poursuit autour de l'invention de deux personnages, le père Fargue et Minna, l’entraîneuse allemande. Malgré les similitudes avec des personnalités qui l’auraient inspiré, le romancier rappelle au micro de Patrice Galbeau combien il a tout inventé.
Dans ce nouvel entretien, il est toujours question des "Racines du ciel". Romain Gary qui a vécu au Yémen, explique que c’est de l’islam, dont il loue les aspects poétiques et littéraires, que lui serait venue l’idée de ce bel intitulé.
Je suis très attiré par l'islam. Je m'empresse de vous dire que, n'étant pas de tempérament religieux, je suis intéressé par l'islam d'une manière qui déplairait énormément aux fidèles de l'islam. (…) Il est certain que, ayant vécu dans l'Afrique musulmane, dans les pays arabes et y revenant régulièrement je suis frappé par le rapport qu'ils ont avec l'infini, avec le ciel, dans leur méditation.
Le père Fargue
Après Morel, parmi les principaux personnages du roman, on trouve le père Fargue, haut en couleurs. Il serait, selon les dires de l’écrivain, entièrement inventé. Mais s’il ne s’est servi d’aucun modèle, Gary nuance toutefois, car une anecdote attribuée à ce personnage lui serait véritablement arrivée.
Sur le pont d’un bateau, quand j’étais jeune officier, il y avait une jeune femme qui se prêtait volontiers à charmer notre solitude, à nous tenir compagnie, et ce, sans trop de discrimination pour ne rien vous cacher. Disons-le, tout le monde parmi nous, tout le monde avait couché avec elle. Son mari était civil. Et arrive l'aumônier, qui évidemment, n'était pas le père Fargue. Et à l'époque, l'expression militaire qui est passée de mode, en argot, était : “Bonjour cocu, tu vas bien cocu ?” Nous étions assis comme ça, en rond, il y avait Madame X et son mari, et nous tous. Alors, il va là et dit : ”Bonjour cocu, bonjour cocu, bonjour cocu, bonjour cocu, bonjour cocu. Bon... Bonjour Monsieur Durand. Bonjour cocu, bonjour cocu...” Il a voulu faire preuve de tact ! Et là, je raconte cette histoire des "Racines du ciel" qui est la seule histoire véritablement vraie.
Sous le ciel Tchadien
Le lieu de l’action a aussi été choisi avec soin par le romancier. Le Tchad, qui sert de cadre aux Racines du Ciel, est un pays que Romain Gary “connaît remarquablement bien”, et qui, par l’immensité du ciel qui y est donné à voir, traduisait le mieux le titre du roman.
II y a une telle présence du ciel, comme une absence de quelqu'un, que cela me paraissait exprimer très clairement le titre même du livre, "Les Racines du ciel". Vous sentez, au Tchad, une immense présence de l'horizon et du ciel. Une extraordinaire petitesse de la Terre.
Minna, allemande par fraternité
Minna, l’entraîneuse du café le Tchadien fait également partie des personnages remarquables des Racines du ciel. Dépeinte comme positive et fraternelle, Romain Gary l'a faite allemande, ce qui a son importance, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un livre conçu comme un appel à la sympathie humaine.
Je l'avais choisie allemande pour plusieurs raisons, étant donné que mon roman constituait tout de même un très grand appel à la sympathie humaine, à la solidarité, à la fraternité, à la générosité. Comme on sortait quand même de la guerre, il m'a paru important de franchir l'abîme. (…) Également, j'ai voulu prendre une victime de l'horreur de Berlin. Berlin a subi un destin atroce. La jeunesse, les jeunes femmes, les jeunes filles, qui n’y étaient pour rien dans de ce qui précédait, dans le nazisme, avaient subi un destin atroce.